Improthérapie : l’improvisation théâtrale pour réduire l’anxiété


Il y a quelques mois, nous avons été contactés par le Docteur Victoria Cagnati, alors en plein projet de rédaction d’un Travail de Fin d’Etudes sur l’improvisation comme outil pour combattre l’anxiété de ses patients. L’intérêt et l’ambition de cette expérience rencontraient parfaitement notre souhait de transmettre le plaisir de l’impro à des personnes en ayant vraiment besoin. Alors, évidemment, on a dit oui !
On vous raconte…

Malgré l’ardeur de ce projet, nous sentions l’anxiété grandir chez nous aussi. Depuis la naissance d’Improvise!, nous avons été habitués à encadrer des groupes très hétérogènes, où les extravertis rencontrent les plus timides, se portant les uns les autres. Ici, le challenge était différent. Le contexte était différent. Et finalement, l’enjeu l’était également. En effet, l’improvisation c’est se jeter dans le vide sans filet, ce qui est déjà challengeant en soi pour des profils ne souffrant pas d’anxiété. Ce qui était particulièrement beau dans ce projet, c’est que cette sortie de zone de confort ne concernait pas seulement les patients, mais nous aussi.

La rencontre allait-elle se faire ?

C’est à la Maison Médicale du Laveu que les 6 coachings ont été organisés. Lors du premier coaching, les regards des participants transpirent le “qu’est-ce que je fous là ?”. Tout commence par des présentations. C’est à ce moment-là qu’on prend conscience de l’importance du challenge entrepris. Des parcours de vie difficiles, des santés mises à rudes épreuves et des peurs qui prennent le contrôle. Alors on écoute, on répond aux questions parfois un peu “décalées”, on essaie de recadrer en douceur et on prend le temps d’encourager. Puis petit à petit, l’improvisation s’impose. Les visages se décrispent et les sourires apparaissent. Le temps s’arrête et pendant une heure et demi les angoisses n’existent plus.

Les objectifs de cette étude étaient de (1) mettre en place des séances d’improvisation à visée thérapeutique au sein d’une maison médiale et (2) tester l’hypothèse que l’improvisation théâtrale peut participer à diminuer l’anxiété chez les patients souffrant de troubles anxieux et améliorer leur qualité de vie.

Ces résultats tendent à montrer que la participation à des activités d’improvisation théâtrale participe à réduire l’anxiété et améliorer la qualité de vie des patients anxieux. Bien sûr, d’autres travaux sur un échantillon de participants plus grand seraient nécessaires pour valider statistiquement ces résultats. Mais c’est un bon début !

Ci-dessous quelques commentaires des participants recueillis lors du post-test, extraits du TFE, après les six séances d’une heure et demi :

 

Je n’ai plus peur de dire les choses. Je n’attaque pas mais j’attends le bon moment. […] ça a carrément changé ma vie et j’espère que ça va encore progresser.

Chacun a pris sa place et il y avait du respect entre chaque personne.

Le plaisir de se sentir apprécié et d’apprécier les autres, ça aussi c’est vraiment fort… c’est vraiment fort ! Vous ne venez pas que faire de l’impro. Je ne dirais pas jusqu’à dire qu’on s’aimait… mais on s’appréciait beaucoup !

On était en symbiose.

Personne ne s’est jugé, il n’y a pas eu de regard, pas de moquerie, pas d’exclusion.
On m’ a autorisé à me tromper.

Très heureux d’avoir rencontré de belles personnes comme ça. « Rencontrer des personnes, ça m’a fait vraiment plaisir. Ça m’a amené des choses, une approche différente de la vie parce qu’en fait on doit constamment penser à l’autre. Dans l’improvisation, on doit constamment penser à l’autre. Pour que ça réussisse, il faut que l’autre puisse accepter ce que l’on dit, et par surprise, et ça, c’est vraiment chouette comme démarche. Penser à l’autre, protéger l’autre quelque part. C’est tout le temps, c’est en permanence qu’on doit faire ça, sinon ça ne marche pas »

« Avant, j’avais tout le temps peur. Je me dévalorisais, je n’avais pas trop confiance en moi. Maintenant, ça va. Je ne dis pas que j’ai confiance en moi à 100 % mais je vais dire que j’ai quand même 50 % en plus de positif. Aller vers les autres, j’ai moins peur. Dialoguer avec quelqu’un, je suis plus franc. Pour arranger les choses au téléphone, je suis plus franc. Ça résout pas mal de soucis.

 

Trois des patients ont utilisé le terme « thérapie » lors du post-test, mais ils ne voyaient pas les séances d’improvisation comme une « thérapie de groupe ». C’était pour eux une « expérience thérapeutique » dans un « cadre sécurisé » et dont le but principal n’était pas que de s’exprimer sur son problème d’anxiété comme en « thérapie de groupe ».« Je n’avais pas envie de parler de l’anxiété car je m’étais dit, on va tous mettre notre paquet sur la table et ce n’est pas du tout ça. […] Mais on se met à nu sans avoir l’impression dans l’improvisation. […] J’ai vécu ça [cette expérience] d’une manière intense et ça je ne m’y attendais pas. ». Quatre des patients ont exprimé qu’il s’agissait pour eux d’une piste non-médicamenteuse à la disposition des participants de la maison médicale qui pouvait contribuer à améliorer leur santé psychique (« pour avancer positivement dans le processus de guérison ») et les aider à gérer leur « surcharge d’émotion négative » Un patient précise : « Après chaque séance d’impro, il y a cette espèce de nuage de bien-être qui nous accompagnait pendant longtemps. Et que c’est mieux d’avoir ce bien-être au travers d’une séance d’impro où c’est le corps qui travaille et qui s’auto-régule, les émotions s’auto-régulent toutes seules et les hormones font qu’on a du bien-être et que ce n’est pas par le biais d’un procédé chimique. Pour moi, je préfère ça et je suis sûr qu’à long terme, ça pourrait être bénéfique. »

Voici ce que le Dr Cagnati conclut dans son TFE : cette expérience a été avant tout, pour reprendre l’expression d’un des participants, une «belle aventure humaine». Nous avons pu constater personnellement les différents changements qui se sont opérés chez les patients suite à la participation aux séances d’improvisation théâtrale, surtout en lien avec la santé mentale, la vitalité et le fonctionnement social. Bien que l’effectif était trop faible pour obtenir des résultats statistiquement valides, les tendances qui se dégagent de cette étude sont encourageantes et suggèrent que l’improvisation théâtrale pourrait être intégrée en tant qu’outil thérapeutique chez les patients souffrant de troubles anxieux.

Pour nous, cette aventure nous a sûrement autant appris qu’aux patients concernés. On se rend compte que finalement, l’improvisation n’est pas seulement un art du spectacle fait pour divertir les improvisateurs et leur public. Ses mécanismes sousjacents permettent de nombreux liens avec divers domaines de la vie de tous les jours. Au-delà de la scène et des projecteurs, nous rencontrons ici un outil thérapeutique profond. Loin des hôpitaux, des blouses blanches et des médicaments, l’improvisation trouve sa place.

Si vous en voulez plus, vous trouverez également l’entièreté du TFE en format PDF. Bonne lecture !
https://docs.wixstatic.com/ugd/ca010d_0cbd2aa4b9574abb914dca96790a5eeb.pdf